vendredi 17 août 2012

Homo sapiens: une complexe sortie d’Afrique

Photo des corps retrouvés sur le site de Qafzeh en Israël. Ces ossements sont datés entre -80'000 à -120'000 ans probablement aux alentours de -100'000 ans. Et il s’agit bel et bien d’Homo sapiens c’est-à-dire d’Hommes anatomiquement modernes! [1]

Il y a quelques mois j’avais rédigé un article consacré aux haplogroupes du chromosome Y et des informations que ceux-ci nous fournissaient sur les migrations humaines passées et sur le peuplement de notre Planète par notre espèces à savoir Homo sapiens sapiens.

Dans cet article j’avais expliqué dans les grandes lignes comment on définit les haplogroupes du chromosome Y, comment ceux-ci se transmettent et enfin comment ceux-ci permettent d’inférer sur une certaines migrations de peuplement ayant eu cours durant la préhistoire (mais aussi durant les temps historiques) et enfin comment les haplogroupes du chromosome Y constituent un des éléments de preuve d’importantes sorties de l’homme moderne du continent africain il y a moins de 100'000 ans.

Dans le présent message je vais cependant présenter des hypothèses susceptibles de donner une image bien plus complexe qu’une simple expansion de l’homme moderne à partir du continent africain. Bien évidemment dans mon précédent article j’avais rappelé qu’en colonisant l’Eurasie les hommes modernes s’étaient métissés avec d’autres représentants du genre Homo notamment l’Homme de Neandertal [2] ainsi que la lignée du mystérieux Hominidé de Denisova [3]. Mais si ces derniers événements complexifient déjà passablement notre histoire évolutive récente, je vais ici traiter non pas tant des cas de métissages entre les premiers «Hommes Modernes» et d’autres lignées humaines, mais plutôt des modalités d’expansion de l’Homme moderne à partir du continent africain, mais aussi à partir du Moyen-Orient!

D’ailleurs certains pourraient reprocher au titre du présent article d’induire en erreur, car justement ci-dessous je vais revenir sur des éléments et des théories soutenant qu’il n’y a pas eu une seule et unique expansion d’Homo sapiens hors du continent africains mais au contraire très probablement plusieurs sorties d’Afrique entrecoupé qui plus est de retours en Afrique, retours qui auraient pu être très importants.

De quoi parle-t-on exactement?

En 2010 une très intéressante étude de Michael D. Petraglia et al [4], revenait sur des données archéologiques issues du Levant, de la Péninsule Arabique et de l’Asie du Sud, attestant d’une possible présence d’hommes anatomiquement modernes hors d’Afrique à des dates relativement anciennes. La thèse centrale de cette publication était que les Hommes Modernes auraient quitté le continent africain il y a plus de 100'000 ans et aurait établit un véritable «réseau de migrations» allant de l’Afrique de l’Est à la Péninsule Indienne, le tout en précisant les conditions climatiques de l’époque dans les différentes régions où auraient migré ces Hommes Modernes.

Réseaux de migrations possibles d’Homo sapiens entre -120'000 et -70'000 ans selon Michael D. Petraglia et al (2010) réseaux de migrations allant de l’Afrique de L’Est à la Péninsule Indienne. En 1 les climats à végétation méditerranéennes. En 2 des «steppes» méditerranéennes. En 3 des steppes arides. En 4 des déserts. En 5 des zones semi-désertiques. En 6 des corridors fluviaux (comme par exemple celui entourant le Nil). En 7 des savanes tropicales. En 8 des forêts tropicales «sèches». En 9 un mélanges de prairies et de forêts tropicales humides. En 10 des forêts tropicales humides. En 11 des végétations de montagnes tropicales. En 12 des climats montagneux tempérés à chauds. En 13 climat du Plateau Tibétain constitué de forêts de conifères et de déserts. [4]

Notons que nous pouvons mettre en perspective la présente théorie de Michael D. Petraglia et al avec une récente étude sur l’évolution du climat en Afrique et aux Moyen Orient depuis -150'000 ans à -30'000. [5] Cette étude montrant que durant la période selon laquelle des Hommes modernes auraient quitté l’Afrique, le Levant et l’Afrique du Nord auraient connu eu un climat passablement humide et donc probablement favorable à la colonisation du Moyen-Orient et donc peut-être (probablement) à des migrations loin plus loin vers l’Est jusqu’à la Péninsule Indienne.

Schéma montrant l’évolution du climat de -150’000 ans à -30’000 ans dans différentes régions allant de l’Afrique du Sud au Moyen-Orient. Nous remarquerons que l’Afrique du Nord et le Levant sont caractérisé par des climats sec à partir de 75'000 ans environs. En revanche l’Afrique de l’Est et donc peut-être le Sud de la Péninsule Arabique auraient conservé un climat humide jusqu’il y a environ -65'000 ans. [5]

Enfin Michael D. Petraglia et al remettent en perspective les données archéologiques avec les données génétiques issues de l’ADN Mitochondrial et plus exactement les haplogroupes de l’ADN mitochondrial. Il apparait assez clairement que nous avons des outillages au Moyen-Orient et dans la péninsule Indienne avant l’apparition des haplogroupes eurasiatiques. Tout cela tendant à indiquer que ces premières sorties d’Afrique il y a plus de 100'000 ans auraient donc été suivies par d’importantes sorties d’Afrique il y a moins de 100'000 ans avec une probable «absorption» des populations humaines initialement sorties d'Afrique, par les nouveaux arrivants.

Phylogénie des principaux haplogroupes de l’ADN mitochondriale, remis en perspective avec des données archéologiques montrant la possible présence d’Homo sapiens au Levant, en Asie du Sud ainsi que dans la Péninsule Arabique. Il apparaît que des expansions de l’Homme moderne ont eu lieu avant la sortie d’Afrique de l’haplogroupe L3 constitue l’haplogroupe des populations non-africaines actuelles. Peut-être-même que ces anciennes sorties d’Afrique d’Hommes modernes se seraient donc étendues jusqu’à la Péninsule Indienne! [4]

Notons toutefois que les outillages vieux d’il y plus 100'000 ans présents en dans la péninsule arabique ainsi que la péninsule indienne ne sont pas clairement associé à des fossiles d’Hommes modernes, on ne peut donc pas exclure qu’ils soient l’œuvre d’autres représentant du genre Homo qu’il s’agisse de Neandertaliens ou d’Hominidés de type Homo erectus. Il est aussi possible qu’il s’agisse de lignées métissées, c’est-à-dire de mélanges entre des Homo sapiens venu d’Afrique et de ces lignées humaines mentionnées précédemment. Car donc il y avait peut-être déjà d’importants flux de gènes entre l’Afrique et l’Eurasie il y a plus de 100'000 ans.

D’importants flux de gènes en Afrique à partir du Moyen-Orient?

La réponse à cette dernière question semble évidente à savoir «oui», car si Homo sapiens est sorti d’Afrique du Moyen Orient et donc à coloniser le reste du monde à partir du Moyen-Orient aussi il y a de forte chance qu'il soit retourné en Afrique à partir du Moyen-Orient. Plus généralement il faut noter que le fait que des Hommes Modernes étaient présents au Moyen-Orient il y a plus de 100'000 ans est en concordance avec une théorie donnant davantage de poids au Moyen-Orient pour l’expansion de notre espèce à travers le monde. En effet certains soutiennent qu’après être sortie d’Afrique les Hommes modernes auraient prospérés au Moyen-Orient et se seraient répandus non pas seulement en Eurasie mais également en Afrique. Cette hypothèse voulant donc que les Hommes modernes auraient effectués d’importants retours en Afrique il y moins de 100'000 ans! Ces importants retours en Afrique étant en concordance avec l’évolution du climat puisque le schéma précédent nous montre qu’à partir de 75'000 environ le Levant aurait à nouveau basculer dans une période particulièrement sèche, cela ayant pu favorisé sur le long-terme non-seulement des migrations à partir du Moyen-Orient vers le nord et l'est mais également des migrations vers le Sud où le climat était alors plus humide.

Cependant attention si nous nous en tenons au graphe issu de cette étude l’Afrique de l’Est serait resté humide jusqu'à 65'000 ans environ, de plus les haplogroupes de l’ADN mitochondriale pointent vers des sorties d’Afrique, donc des migrations du Sud vers le Nord il y a environ 70'000 ans puis d’importantes expansions en Eurasie ultérieures à cette date. [6] La solution à ce problème serait qu’il y ait bel et bien eu une importante expansion hors d’Afrique il y a moins de 70'000 mais une expansion qui aurait pu avoir lieu via le Bab-el-Mandeb (voir image ci-dessous) là où le climat était encore plus humide.

Le Bab-el-Mandeb aurait pu constituer un point de passage important entre l’Afrique et la Péninsule Arabique donc entre l’Afrique et l’Eurasie.

Cette importante sortie d’Afrique datant de 70'000 environ et qui est en concordance aussi bien avec les haplogroupes de l’ADN mitochondrial qu’avec ceux du chromosome Y, n’aurait cependant donc pas été la première et n’exclue pas durant la même période (de -100'000 ans à -70'000) d’importants retours en Afrique donc d’importants flux de gènes entre l’Afrique et l’Eurasie!

Cependant le fait que le Moyen-Orient était alors déjà peuplé depuis longtemps pourrait suggérer un scénario alternatif selon lequel l’importante expansion de l’Homme moderne il y a environ 70'000 ans tel que soutenu par les données génétiques, ne serait pas parti d’Afrique mais du Moyen-Orient! Cette dernière théorie peut cependant sembler surprenante car les haplogroupes du chromosome Y et de l’ADN mitochondriale pointent au contraire vers une expansion à partir d’Afrique. Aussi pour bien comprendre en quoi consiste la dite théorie alternative nous allons revenir ci-dessous sur les haplogroupes du chromosome Y car ceux-ci sont justement au cœur de cette théorie alternative.

Faut-il revoir l’origine géographique de l’haplogroupe BT?

Dans mon précédent article sur les haplogroupes du chromosome Y j'avais expliqué en quoi les haplogroupes les plus plus basaux, tels que l'haplogroupe BT (vieux d'il y a environ -80'000 à -70'000 ans) s'enraçinaient en Afrique et étaient donc selon toute vraisemblance apparues en Afrique. Cependant il existe une théorie alternative proposé notamment par le blogueur Dienekes. Ce dernier propose en effet une hypothèse selon laquelle l’haplogroupe BT du chromosome Y pourrait lui-même être apparu au Moyen-Orient au sein de populations d’Hommes modernes descendantes de celles qui avaient quitté l’Afrique pour colonisé l’Eurasie il y a plus de 100'000 ans. Pour se faire il s’appuie sur le fait que l’on retrouve à basse fréquence des individus appartenant à l’haplogroupe B en Iran [7] ainsi qu’en Afghanistan [8]. Selon lui il pourrait s’agir de reliques, c’est-à-dire que l’haplogroupe B aurait été initialement très fréquent en Eurasie mais aurait depuis diminué en fréquence suite à l’expansion de l’haplogroupe CT qui serait selon Dienekes, lui aussi apparu Moyen-Orient.

Phylogénie et répartition des principaux grand haplogroupes du Chromosome Y. On s’aperçoit que les clades les plus basaux (clades A et B) sont essentiellement africains, indiquant l’arbre phylogénétique des haplogroupe du chromosome Y s’enracine donc en Afrique. Il en va ainsi par exemple de l’haplogroupe BT clairement enraciné sur le continent africain. Cependant selon Dienekes la présence à faible fréquence d’individus appartenant à l’haplogroupe B en Iran et en Afghanistan pourrait témoigner d’une possible origine asiatique de l’haplogroupe BT. Position cependant très spéculative pour le moins faible sachant que la présence d’individus appartenant à l’haplogroupe B dans ces régions d’Asie semble correspondre à des migrations récentes.[9]

Cette théorie bien que séduisante est à prendre avec des pincettes et a plusieurs faiblesses malgré le fait qu’elle soit plausible. Tout d’abord la présence de personnes porteuses d’haplogroupes B en Iran (et aussi probablement dans certaines régions d’Afghanistan) s’explique très probablement par des migrations récentes. Dans un commentaire laissé sur le blog de Dienekes une personne répondant au pseudo de Lank souligne ainsi que les populations Iraniennes chez lesquelles l’haplogroupe B est présent, se situent dans une zone géographique ou il y a eu de récentes migrations en provenance d’Afrique [7]. Lank rappelant également que l’haplogroupe B est très fréquent chez les chasseurs-cueilleurs Hazda et plaide clairement en faveur d’une origine africaine de l’haplogroupe BT!

Carte de repartition de l’haplogroupe B et de quelques-uns de ses sous-haplogroupesen Afrique. Il apparait que l’haplogroupe B est clairement africain et demeure extrêmement rare hors du continent africain où sa présence s’explique d’ailleurs probablement par de récentes migrations hors d’Afrique. [9]

Notons cependant que dans un de ses commentaires Dienekes ajoute un autre élément qui pourrait être en faveur de sa théorie, à savoir la présence d’individus apparentant à l’haplogroupe A en Sardaigne et à Chypre. [10] Après tout la présence d’un haplogroupe A en Europe ne pourrait-il pas témoigner d’anciennes sorties d’Afrique et donc constituer un indice en faveur de l’apparition de l’haplogroupe BT au Moyen-Orient? Et cela d’autant plus comme semble le souligner Dienekes que les populations de l’Ouest de l’Eurasie chez lesquels l’on trouverait ces haplogroupe A, seraient en revanche peu pourvues d’un des sous-haplogroupe de l'haplogroupe E, pourtant très fréquent dans les régions d’Afrique d'où proviendrait l'haplogroupe A. Or si des migrations récentes expliquent l’haplogroupe A chez ces populations de l’Ouest de l’Eurasie pourquoi celles-ci n’ont-elles pas en même temps un taux important de ce sous-haplogroupe de l’haplogroupe E?

Carte de repartition de l’haplogroupe A et de quelques-uns de ses sous-haplogroupes en Afrique. Comme l'haplogroupe B, l'haplogroupe A s'enracine clairement dans le continent africain. [9]

Cependant là encore Lank fait une intéressante mise-au-point en rappelant que les individus appartenant à l’haplogroupe A en Sardaigne et à Chypre appartiennent en fait au sous-haplogroupe A3b2 (voir schéma ci-dessous). L'haplogroupe A3b2 est toujours présent dans la partie nord de l'Afrique notamment au Soudan. Or Lank cite une étude soulignant qu'il n'y a pas si longtemps l'haplogroupe A3b2 étaient probablement d'avantage répandu au Nord du Soudan qu'il ne l'est aujourd'hui (l'haplogroupe A3b2 étant toujours très fréquent au Sud du Soudan). Parallèlement ce sous-haplogroupe de l’haplogroupe E n'aurait atteint des fréquence élevé au Nord du Soudan que récemment. [11] Lank rappelant qu’en des temps récents comme ce fut le cas au Soudan, l’haplogroupe A3b2 aurait pu être bien plus fréquent qu’aujourd’hui en Afrique du Nord et à l’inverse cet haplogroupe E bien plus rare. Cela pouvant aisément expliquer les présentes constatations de Dienekes sans donc devoir faire appel à une origine ancienne de l’haplogroupe A à l'ouest de l'Eurasie. Pourquoi? Parce que les quelques populations de l'Ouest de l'Eurasie où l'on trouve l'haplogroupe A3b2 sont donc probablement les descendant de migrants relativement récents en provenance d'Afrique du Nord à une époque où l'haplogroupe E y était moins fréquent qu'aujourd'hui.


Arbre phylogénétique des haplogroupes du chromosome Y par F. Cruciani et al (2011). On observe que l’haplogroupe A3 (dont l’un des sous-haplogroupe est l’haplogroupe (A3b2) est assez étroitement apparenté à l’haplogroupe B. La question est donc de savoir si la présence de l’haplogroupe A3b2 en Europe est récente ou ancienne. Dienekes suggérant une origine ancienne, Lank amenant en revanche de bonnes raisons d’être en faveur d’une origine récente. [12]

Enfin un des derniers arguments de Dienekes serait une estimation de -100'000 ans pour les derniers ancêtres communs des Européens et des africains, chose qu’il semble présenter comme étant en faveur de sa théorie (bien que je n'en suis pas vraiment sûr tant cet argument me semble étrange). Ce dernier argument de Dienekes est pour le moins étrange car là encore Lank rappelle que cela ne s’oppose pas avec une origine africaine et récente (moins de 100'000 ans) de la lignée porteuse de l’haplogroupe BT pour le chromosome Y et de celle porteuse de l’haplogroupe L3 pour l’ADN mitochondrial. L’estimation de -100'000 pouvant s’expliquer par l’impact du métissage des Eurasiens avec des lignées «archaïques» tels que Neandertal et des africains avec de possibles autres lignées d’Hominidés «archaïques» alors encore présentes en Afrique à l’époque, ou alors cela est  simplement dû au fait que l’Afrique retient une plus grande diversité génétique donc d’avantage de variants génétiques anciens. [13] D’ailleurs cet argument de la part de Dienekes est d’autant plus étrange car celui-ci admet également une origine récente et commune de l’haplogroupe BT du chromosome Y. La seule différence étant qu’il propose pour celui-ci une origine Moyen-Orientale plutôt qu’Africaine tout en restant bien évidemment prudent sur sa propre théorie. Bref même si la théorie de Dienekes est intéressante et à prendre en considération elle demeure peu soutenue et se base sur une lecture pour le moins partiale des données existantes. Mais certes comme le dit Dienekes lui-même un des moyens de résoudre de manière définitive ou presque cette question serait d’analyser plus en détail les chromosomes Y des hommes appartenant à l’haplogroupe B en Eurasie afin de les comparer à ceux de leurs homologues africains appartenant au même haplogroupe.

Mais donc si l’on s’en tient aux données existantes rappelons-nous comme mentionné plus haut, qu’un autre indice soutient une expansion récente (il y environ 70'000 ans) en provenance d’Afrique à savoir l’ADN mitochondriale notamment via la distribution de l’haplogroupe L3. [6] La date et la répartition de l’haplogroupe L3 étant à la fois compatible avec une sortie récente d’Afrique via le Bab-el-Mandeb ainsi qu’avec une origine africaine et récente de l’haplogroupe BT (qui correspondrait aux mêmes vagues migratoires). Certes l’histoire des haplogroupes du chromosome Y n’est pas forcément la même que celle des haplogroupes de l’ADN mitochondriale, mais donc le scénario de loin le plus probable et parcimonieux demeure de loin une origine africaine de l’haplogroupe BT et cela en ajoutant qu’il n’existe à ma connaissance aucune étude montrant une origine non-africaine de l’haplogroupe en question.

Carte représentant la probable origine et les probables voies et dates d’expansions de l’haplogroupe L3 de l’ADN mitochondriale. A gauche l'expansion de l'haplogroupe L3 entre -70'000 ans et -30'000 ans. À droite l'expansion récente des sous haplogroupes africains de l'haploupe L3 de -10'000 ans à -1'800 ans. On remarque que la date d’expansion de cet haplogroupe il y a 70'000 ans correspondrait assez bien à celle de l’haplogroupe BT du chromosome Y. Il serait cependant nécessaire d’attendre la publication de nouvelles études pour être fixé sur la concordance de l’expansion de ces deux haplogroupes. Car l’histoire des haplogroupes du chromosome Y n’est de loin pas forcément la même que celle des haplogroupes de l’ADN mitochondrial. [9]

Si l’origine africaine de l'haplogroupe BT n’est (probablement) pas à revoir alors peut-être faut-il revoir celle de l’haplogroupe CT?

Mais même si l’haplogroupe BT est d’origine africaine cela ne signifie pas pour autant qu’il y a pas eu d’importants retours en Afrique après que l’Haplogroupe BT se soit répandu au Moyen-Orient il y a 70'000 ans environ! Cela nous amène en effet à une autre théorie déjà mentionnée dans ce précédent message voulant que l’haplogroupe DE (un des deux sous-haplogroupe de l’haplogroupe CT) soit d’origine Eurasienne. [14] Car si l’haplogroupe DE est d’origine Eurasienne n’est-il pas possible voir même très probable que l’haplogroupe CT ne soit pas lui aussi d’origine Eurasienne? C’est aussi une position que défend Dienekes et contrairement à l’haplogroupe BT, une origine eurasiatique de l’haplogroupe CT a d’assez bonnes probabilités d’être vraie. Or rappelons qu’un des deux sous-haplogroupes CT est l’haplogroupe DE comprenant lui-même l’haplogroupe E très commun en Afrique subsaharienne!


Carte de répartition de l’haplogroupe E très fréquent sur le continent africain particulièrement en Afrique subsaharienne

Aussi si l’haplogroupe CT est bel et bien apparu au Moyen-Orient et au vue de la prédominance de l’haplogroupe E sur le continent africain cela voudrait dire qu’il y a eu à des dates relativement récentes d’importants retours en Afrique! Cela rendant donc l’expansion de l’homme moderne plus complexe encore puisque nous aurions eu des sorties d’Afrique il y a plus de 100'000 ans, suivit peut-être déjà de retours en Afrique, puis d’importantes sorties d’Afrique il y a 70'000 ans suivit cette fois à nouveaux d’importants retours en Afrique ainsi que d’une expansion sur le reste de l’Eurasie! Notons cependant concernant l’haplogroupe CT qui si une origine Eurasienne (et plus précisément du Moyen-Orient) de celui-ci semble passablement probable, elle n’est non plus pas avéré, l’origine de l’haplogroupe CT pouvant, de manière tout aussi probable, être d’origine africaine. [9] [15] [16]

Mais alors y-a-t-il des preuves concluantes de retours en Afrique?

La réponse est oui, mais les preuves les plus concluantes proviennent d’haplogroupes relativement récents comme l’haplogroupe R, largement plus récent que 50'000 ans. [17] Cependant nous aurions torts de penser qu’il n’y aurait pas pu déjà y avoir d’importants retours en Afrique bien plus anciens c’est-à-dire plus anciens que 50'000 ans voir même aux alentours des -100'000 ans. Le problèmes des haplogroupes , qu’il s’agisse de ceux du chromosome Y ou de ceux de l’ADN mitochondial, étant qu’il ne donnent qu’une image incomplète des ascendances des différentes populations et donc des migrations passées. Par exemple prenez l’Homme de Neanderthal qui nous a selon toute vraisemblance laissé une partie de son génome au sein des populations humaines actuels sans pour autant nous transmettre ni son chromosome Y ni son ADN mitochondrial. Par ailleurs si le Moyen-Orient voir même peut-être l’Asie du Sud, était déjà colonisé par Homo sapiens il y a plus de 100'000 ans il apparaît assez probable qu’il y ait eu déjà à l’époque des retours en Afrique, retours en Afrique qui ont pu contribuer de manière non-négligeable au pool génétique des populations africaines.

Conclusion: une complexe sortie d’Afrique

Et oui on conclue avec le titre du présent article! Car même si au vue des données génétiques et archéologiques précédemment mentionnées il apparait donc difficile de savoir ce qu’il s’est exactement passé, dans les grandes lignes voici ce que nous pouvons déjà dire:

1. Apparition d’hommes anatomiquement modernes en Afrique entre 200'000 et 100'000 ans (bien qu’on ne puisse exclure une origine encore plus ancienne). 

2. Importantes migrations d’hommes modernes au Moyen-Orient et en Asie du Sud (peut-être jusqu’à la Péninsule Indienne) il y a déjà plus de 100'000 ans. Notons qu’on ne peut pas exclure qu’il y ait eu à ce moment-là des métissages avec d’autres lignées humaines, notamment des Néanderthaliens alors peut-être (probablement) déjà présents au Moyen-Orient.

3. Nouvelles sorties d’Afrique mais aussi possibles (probables) retours en Afrique entre 100'000 et 50'000 ans. Il reste cependant à établir l’importance de ces retours en Afrique notamment en déterminant si l’haplogroupe CT est apparu en Afrique ou au Moyen-Orient.

4. Nouveaux flux de gènes entre l’Afrique et l’Eurasie il y a moins de 50'000 ans, chose apparaissant assez clairement aux regards de la répartition d’haplogroupes aussi récents que l’haplogroupe R ou l’haplogroupe T!

Bref nous aurions donc clairement eu une expansion de l’homme moderne bien plus complexe qu’une simple et unique sortie du continent africain. Expansion impliquant dès ses début d’importants mélanges entre populations, mélanges qui se sont poursuivi ensuite les populations humaines continuant de migrer et donc de ses mélanger. Bien sûr ne faisons pas d’angélisme, les migrations de populations pouvaient probablement se solder parfois par des conflits voir même des «remplacements» de populations. Mais donc également d’importants flux de gènes et donc de mélanges. Voilà qui nous donne déjà une image bien plus complexe de nos origine et encore je n'y ai même pas discuter en détail des probables mélanges entre les Hommes modernes et d'autres lignées humaines tels que les Néandertaliens. Notre histoire évolutive récente est un bon gros bordel qu'on se le dise!

Références:

[1] Bernard Vandermeersch (2002), The excavation of Qafzeh, Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem

[2] Richard E. Green et al (2010), A Draft Sequence of the Neandertal Genome, Science

[3] David Reich et al (2010), Genetic history of an archaic hominin group from Denisova Cave in Siberia, Nature

[4] Michael D. Petraglia et al (2010), Out of Africa: new hypotheses and evidence for the dispersal of Homo sapiens along the Indian Ocean rim, Annals of Human Biology

[5] Margaret Whiting Blome et al (2012), The environmental context for the origins of modern human diversity: A synthesis of regional variability in African climate 150,000 - 30,000 years ago, Journal of Human Evolution

[6] Pedro Soares et al (2011), The expansion of mtDNA haplogroup L3 within and out of Africa, Molecular Biology and Evolution

[7] Viola Grugni et al (2012), Ancient Migratory Events in the Middle East: New Clues from the Y-Chromosome Variation of Modern Iranians, PLoS ONE

[8] Marc Haber et al (2012), Afghanistan's Ethnic Groups Share a Y-Chromosomal Heritage Structured by Historical Events, PLoS ONE

[9] Jacques Chiaronia, Peter A. Underhillb and Luca L. Cavalli-Sforza (2009), Y chromosome diversity, human expansion, drift, and cultural evolution, Proceedings of the National Academy of Sciences

[10] C. Capelli et al (2005), Population Structure in the Mediterranean Basin: A Y Chromosome Perspective, Annals of Human Genetics

[11] Hisham Y. Hassan et al (2008), Y-chromosome variation among Sudanese: restricted gene flow, concordance with language, geography, and history, American Journal of Physical Anthropology

[12] Fulvio Cruciani et al (2011), A Revised Root for the Human Y Chromosomal Phylogenetic Tree: The Origin of Patrilineal Diversity in Africa, American Journal of Human Genetics

[13] Joseph Lachance et al (2012), Evolutionary History and Adaptation from High-Coverage Whole-Genome Sequences of Diverse African Hunter-Gatherers, Cell

[14] T K Altheide and M F Hammer (1997), Evidence for a possible Asian origin of YAP+ Y chromosomes, American journal of Human Genetics

[15] P.A. Underhill et al (2001), The phylogeography of Y chromosome binary haplotypes and the origins of modern human populations, Annals of Human Genetics

[16] Peter A. Underhill and Toomas Kivisild (2007), Use of Y Chromosome and Mitochondrial DNA Population Structure in Tracing Human Migrations, Annual Review of Genetics

[17] Fulvio Cruciani et al (2002), A Back Migration from Asia to Sub-Saharan Africa Is Supported by High-Resolution Analysis of Human Y-Chromosome Haplotypes, American Journal of Human Genetics

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