samedi 29 septembre 2012

Taux de Mutation et Évolution Humaine


Dans mon précédent billet j’avais traité de la sortie de notre espèce du continent africain en revenant notamment sur deux ou trois théories concernant les retours en Afrique qu’avaient effectués certaines populations humaines après avoir initialement quitté le continent africain. Ce dernier sujet est également abordé dans le présent billet ci-dessous, mais cette remis dans le contexte de récentes études en génétique humaine remettant en cause les taux de mutations habituellement admis et servant, entre-autre, à estimer l’ancienneté des migration humaines ayant eu cours durant la préhistoire mais également de dates l’ancienneté des ancêtres communs que nous partageons avec les gorilles et les chimpanzés.

En effet habituellement le taux de mutation au sein de l’espèce humaine est estimé à 2.5x10-8 par position par génome haploïde et par génération, or des récentes études nous donnent des taux de mutations bien plus bas se situant notamment aux alentours de 1.1x10-8. [1] Bien évidemment la situation est bien plus complexe puisqu’il semblerait que divers paramètres puissent influencer le taux de mutation à savoir notamment l’âge du père, plus celui-ci est âgé plus cela affecterait le taux de mutation à la hausse! [2] [3]

Mais donc un taux de mutation moindre que celui qui était jusqu’alors communément admis a forcément des implications importantes pour la compréhension de l’évolution de notre lignée c’est-à-dire de l’évolution humaine. Un article d'Aylwyn Scally et de Richard Durbin (2012) [4] discute des implications que pourrait avoir cette révision du taux de mutation de notre espèce pour la compréhension de notre évolution récente. Parallèlement à celui-ci est apparue récemment une intéressante étude de Kevin E. Langergraber et al (2012) [5] s’appuyant aussi bien sur la durée des générations chez les grands singes que sur une révision à la baisse du taux de mutation pour remettre en question les dates de divergences de la lignée humaine de celles de ces plus proches cousins les gorilles et les chimpanzés.

Aussi la suite du présent billet consistera pour une bonne part à remettre en perspective cette révision du taux de mutations avec certains débats concernant l’histoire évolutive récente de notre espèce avant de s’intéresser finalement aux conséquences pour notre évolution ancienne, c’est-à-dire à l’estimation de l’ancienneté des ancêtres communs que nous partageons avec les autres grands singes.

Revoir notre évolution récente

C’est en effet le premier point à revoir! Car qui dit taux de mutation plus faible dit révision des dates des migrations humaines déterminées jusqu’alors en se basant sur des taux de mutation bien plus élevés. En effet si les différentes populations humaines ont divergé génétiquement bien plus lentement que ce que l’on pensait jusqu’alors, il est nécessaire de déterminer des dates plus anciennes. Ainsi les grandes expansion hors d’Afrique de l’Homme moderne, ne se seraient pas produit aux alentours de -70'000 ans mais il y a plus de 100'000 ans! [4]

Carte montrant les grandes dates de l’expansion humaines en Afrique puis hors d’Afrique en prenant en compte un taux de mutation plus faible que celui communément admis. Nous nous apercevons que la sortie d’Afrique se situerait donc aux alentours de -120'000 à -100'000 ans. Ou encore que certaines populations africaines auraient divergés les unes des autres il y a environ 250'000 ans, ce dernier point sera discuté plus en détail via le schéma suivant. Diagramme tiré de Aylwyn Scally and Richard Durbin (2012). [4]

Cette sortie plus ancienne du continent africain étant compatible avec les donnée fossiles notamment ceux de Qafzeh en Israël montrant la présence d'Hommes Modernes il y a plus de 100'000 au Moyen-Orient comme cela avait déjà été discuté dans ce message précédent. Cette nouvelle datation de la sortie d’Afrique de notre espèce a également des implications intéressantes pour l’estimation des divergences des différentes populations humaines, notamment des divergences les plus anciennes ayant eu cours en Afrique subsaharienne mais aussi sur celle qui ont eu court entre la lignée ayant mené aux Hommes modernes et celle ayant mené à Neandertal ainsi qu’à la lignée de l’Homme de Denisova. Ainsi par exemple l'ancêtre commun de Neandertal et d'Homo sapiens ne se situerait plus entre 272'000 et 435'000 ans mais bel et bien entre 400'000 et 600'000 ans, et très probablement d'avantage qu'il y a 500'000 ans si on en croit les données de l'ADN mitochondrial. [4]

 
En haut une représentation des dates de divergence de la lignée humaine avec celle de l’Homme de Neandertal et l’Homme de Denisova. Notons toutefois que la position phylogénétique de l’Homme de Denisova par-apport à celle de Neandertal n’est de loin pas certaine comme le montre le point d’interrogation sur le présent diagramme. En bas une représentation graphique des divergences initiales des populations humaines actuelles. Les populations de langue Khoïsan auraient une divergence initiale avec les autres populations humaines très ancienne (plus de 250'000 ans) même si depuis d’important flux de gènes aurait eu lieu avec les autres populations humaines (certains des flux de gènes en question sont représenté sur le présent schéma par des flèches noires). À l’inverse la divergence initiale des populations noires-africaines (ici représenté par les Yoruba) avec les actuelles populations eurasiennes serait bien plus récentes (un peu plus de 100'000 ans) enfin la divergence initiale entre les Européens et les Asiatiques remonterait à un peu plus de 50'000 ans. Notons que nous parlons de divergences initiales, car d'après celles-ci ces populations furent connectées entre elles par de nombreux flux de gènes et donc par des ancêtres commun bien plus récents. Diagramme tiré de Aylwyn Scally and Richard Durbin (2012).[4]

Bon ces estimations-là sont bien évidemment sujettes à caution car les divers métissages qu’il y a eu après la séparation des populations humaines en question, ont vite fait de brouiller les pistes. Néanmoins là-encore nous pouvons trouver d’étonnantes correspondances avec le registre fossile. En effet les plus anciens fossiles humains attribué à des Hommes anatomiquement modernes, Omo I et Omo II, donc à Homo sapiens ont été retrouvé au Kenya et sont daté pour l’un d’entre eux au moins, d’il y a environ 195’000 ans [6] et dans tous les cas largement plus qu’il y a 150'000 ans. Et il est donc tout à fait possible que des Hommes anatomiquement modernes étaient présents sur ce continent il y a bien plus longtemps encore!

Fossiles des voûtes crâniennes d’Omo I et d’Omo II. Les plus anciens vestiges d'Homme modernes connus. Omo I, étant nettement plus anciens que -150'000 ans et probablement vieux d’environ 195'000 ans! Image tirée de John G. Fleaglea et al (2008) [6]

Donc l’évolution de notre espèce sur le continent africain serait encore plus ancienne que ce que nous avons initialement pensé. Mais il reste un autre point à mentionner à savoir l’haplogroupe CT du chromosome Y. Cet haplogroupe caractérisant un peu près tous les eurasiens actuels ainsi que la majorité des africains (les africains appartenant pour beaucoup à l’haplogroupe E un des sous-haplogroupe de l’haplogroupe CT). Car même en prenant en compte un taux de mutation moindre l'haplogroupe CT demeurerait probablement plus récent qu’il y a -100'000 ans (bien que rien ne soit sûr de ce côté-là). Hors cette sortie plus ancienne de notre espèce du continent africain en comparaison à cette origine relativement récente de l’haplogroupe CT pourrait valider la thèse défendue par Dienekes, à savoir celle voulant que l’haplogroupe CT soit apparu non pas en Afrique mais au Moyen-Orient. Car même en révisant le taux de mutation à la hausse l’haplogroupe CT demeurerait largement plus récent qu’il y a 100'000 ans alors que la sortie d’Afrique daterait d’il y a plus de 100'000 ans. Tout cela rejoignant une théorie déjà exposé plus haut ainsi que dans ce précédent message, thèse voulant qu’il y ait eu d’importants retours en Afrique il y a moins de 100'000 ans. Et c’est lors de ces importants retours en Afrique que l’haplogroupe E (qui est un des sous-haplogroupe de l’haplogroupe CT) se serait répandu sur le continent africain! Cependant attention il n’est pas exclu que la révision du taux de mutation nous donne une ancienneté encore plus grande de l’haplogroupe CT (et de l’haplogroupe BT également soit-dit en passant). Il est donc pour l’instant difficile d’être fixé sur l’origine géographique de cet haplogroupe. Rappelons-nous que l’ancienneté des divers embranchements de l’haplogroupe A a déjà été revue à la hausse!

Phylogénie et répartition des principaux grand haplogroupes du Chromosome Y. Si l’haplogroupe A et l’haplogroupe BT s’enracinent nettement en Afrique la situation de l’haplogroupe CT très différente, celui-ci est en effet constitué du sous-haplogroupe DE, se divisant lui-même en l’haplogroupe D présent en Asie et l’haplogroupe E essentiellement présent en Afrique, notamment en Afrique subsaharienne. Le sous haplogroupe CF étant lui assez clairement enraciné en Eurasie. Sachant que l’haplogroupe CT est probablement plus récent que -100'000 ans, peut-être même vieux de seulement -39'000 ans si l'on en croit la récente étude de Cruciani et al [7], et que la révision du taux de mutation dans le génome pousse la sortie d’Afrique à il y a plus de -100'000 ans, il est probable que l’origine de l’haplogroupe CT se situe en Eurasie et plus exactement au Moyen-Orient. Cependant attention rien n’est moins sûr sachant que l’haplogroupe CT est peut-être plus ancien encore considérant la revue à la baisse du taux de mutation, il en va de même pour l’haplogroupe BT qui toujours selon l’étude de Cruciani et al [7] serait même largement plus vieux que l’haplogroupe CT contrairement à ce qu’avait indiqué de précédentes études. L’ancienneté des divers embranchements de l’haplogroupe A ayant déjà été revue à la hausse. De plus il faut noter qu’il est tout à fait possible qu’entre 100'000 et 50'000 il y ait eu divers allers et retours entre l’Afrique et le Moyen-Orient le tout brouillant considérablement l’origine géographique des haplogroupes en question! Diagramme issu de Jacques Chiaronia, Peter A. Underhillb and Luca L. Cavalli-Sforza (2009) [8].

Bref les populations d’hommes anatomiquement modernes auraient vu le jour et se seraient diversifiées il y a largement plus de 100'000, peut-être même il y a plus de 200'000 ans en Afrique! Puis il y a un peu plus de 100’000 certains de ces Homo sapiens auraient alors quitté le continent africain pour coloniser le Moyen-Orient et peut-être même l’Asie du Sud jusqu’au niveau de l’actuelle Inde comme cela a déjà été discuté dans ce précédent message. Enfin il y a moins de 100'000 ans (peut-être aux alentours de 70'000 ans) c'est-à-partir du Moyen-Orient qu'aurait eu lieu une importante expansion de l’Homme moderne vers le Nord et l’Est de l’Eurasie, mais également en direction de l’Afrique, donc d’importants retours sur le continent africain. Les Africains actuels seraient donc issus d’un important métissage entre les populations humaines restées en Afrique et celles revenus massivement sur le continent africain depuis le Moyen-Orient il y a moins de 100'000 ans! Et cela sans même parler des autres flux de gènes qu’il y a très probablement eu entre l’Afrique et l’Eurasie il y a moins de 50'000 ans!

Représentation graphique de l’évolution récente de notre espèce. À gauche en bleu clair on observe l’évolution initiale d’Homo sapiens sur le continent africain, avec divergences et métissages des populations africaines qui acquièrent donc durant ce temps une importante diversité génétique. Puis il y a plus de 100'000 une partie de ces populations humaines quittent l’Afrique pour l’Eurasie (en couleur bleue foncée). Chez ces Homo sapiens ayant quitté le continent africain il y a métissage avec une partie de la lignée néanderthalienne (représentée en vert). Certaines populations eurasiatiques, les mélanésiens, se métissant également avec la lignée de l’Homme de Denisova (représentée en rouge). Mais surtout on remarque qu’une partie importante des Homo sapiens ayant quitté l’Afrique il y a plus de 100'000 ans, retournent alors sur le continent africain il y a moins de 100'000 ans (représenté par l’incursion de la lignée bleue foncée dans la lignée bleue claire sur le présent schéma). Selon ce scénario les populations d’Afrique subsaharienne seraient porteuses des variations génétique anciennes des Homo sapiens n’ayant pas quitté l’Afrique il y a plus de 100'000 ans, ainsi que des variations génétiques des populations d’Homo sapiens retournées en Afrique il y a moins de 100'000 ans!

Revoir l’idée d’une lignée archaïque présente en Afrique il y a moins de 20'000 ans?

Cette théorie en faveur d’importants retours en Afrique il y a moins de 100'000 ans est à mettre en lien avec une autre théorie, théorie voulant que les Homo sapiens africains se seraient eux-aussi (à l’instar des Homo sapiens eurasiatiques avec Neandertal) métissés avec une lignée humaine archaïque présente récemment en Afrique. C’est tout du moins ce que suggèrent certaines études génétiques. [9] Mieux encore cette lignée humaine archaïque aurait encore été présente en Afrique il y 13'000 ans seulement comme l’indiquerait la récente découverte au Nigéria d’une voûte crânienne semblant posséder des caractéristiques propres aux lignées humaines archaïques! [10]

Voûte crânienne humaine vieille de -13'000 ans environ et qui appartiendrait selon certains, à une lignée humaine archaïque clairement distincte de la nôtre et qui aurait donc perduré jusqu’il y a très récemment en Afrique Subsaharienne. Cependant cette dernière conclusion est sujette à caution pour les raisons exposées ci-dessous. Image tirée de Katerina Harvati et al (2011) [10]

Ainsi selon cette théorie les Homo sapiens africains se seraient eux aussi métissés avec une lignée d’hominidés archaïque aujourd’hui disparue et mieux encore des représentants de cette lignée archaïque auraient survécu jusqu’il y a très récemment en Afrique. Mais même si comme déjà dit ci-dessus une voûte crânienne de 13'000 ans découverte au Nigéria a été interprété comme appartenant à un possible représentant de cette hypothétique lignée d’Hominidés archaïques, rien n’est moins sûr! Car comme l’a très bien rappelé Maju il a toujours existé une variabilité morphologique appréciable au sein même des populations d’Homo sapiens. Maju ayant donc donné de bonnes raisons de douter de l’idée selon laquelle cette voûte crânienne trouvée au Nigéria serait celle d’un représentant d’une lignée archaïque aujourd’hui disparue. En effet images à l’appui il démontre que l’on trouve d’autre ossement d’hommes modernes présentant une voute crânienne similaire à celle du spécimen nigérian et cela sans pour autant que le statut «d’Hommes Modernes» des individus présentant pareilles voutes crâniennes, ne soit remis en cause!

On peut encore ajouter la voûte crânienne de l’ancien champion du monde de boxe catégorie poids lourd Nikolay Valuev, dont on peut supputer que certains paléoanthropologues auraient affirmé qu’elle appartenait à une ligné archaïque s’ils l‘avaient découvert dans des strates vieilles de plus de 10'000 ans!

Notons également que Maju a laissé un intéressant commentaire sur «anthropology.net» concernant les données génétiques pointant vers possible métissages des Homo sapiens africains avec de mystérieuses lignées archaïques qui auraient été présentes jusqu’il y a peu en Afrique subsaharienne. [9] Dans ce commentaire Maju semble suggérer qu’en réalité ces métissages passés seraient très anciens et remonteraient presque à l’origine d’Homo sapiens lui-même. Cela signifiant peut-être que les métissages en question seraient en réalité la persistance d’un polymorphisme génétique ancien lié à l’histoire évolutive d’Homo sapiens sur le continent africain. A cela nous pourrions ajouter l'importance qu'aurait pu avoir un relativement récent retour en Afrique depuis le Moyen-OrientCes migrations depuis le Moyen-Orient se sont en effet probablement soldé par d'importants métissages entre les Homo sapiens à la diversité génétique moindre retournant en Afrique depuis le Moyen-Orient et ceux à la diversité génétique bien plus importante et qui n’avaient pas quitté le continent africain, scénario qui avait déjà été illustré via ce précédent diagramme.

Donc pour résumer nous aurions eu:

(1) Une sortie de l’Homme Moderne du continent africain datant d'il y a plus 100'000 ans.

(2) Puis d’importants retours en Afrique depuis le Moyen-Orient il y a moins de 100'000 ans, ainsi qu'une expansion d'Homo sapiens dans toute l'Eurasie depuis le Moyen-Orient.

Tout cela semble être d’une remarquable cohérence aussi bien avec cette révision à la baisse du taux de mutation qu'avec diverses données issues du registre fossile. Mais bien évidemment il est nécessaire d’être extrêmement prudent, car comme nous le verrons plus bas tous les scientifiques ne sont pas d’accord avec cette révision à la baisse du taux de mutation et donc certains scientifiques continuent de privilégier une sortie très récente du continent africain, c’est-à-dire largement plus récente qu’il y a 100'000 ans! [11]

Cependant pour la suite de ce message nous allons continuer de considérer un taux de mutation moindre car si celui-ci venait à être avéré la révision de l’histoire évolutive de la lignée humaine ne concernerait pas que notre évolution récente mais remonterait bel et bien jusqu’aux ancêtres communs que nous partageons avec les gorilles, les bonobos et les chimpanzés!

Revoir notre évolution ancienne

Et oui un taux de mutations moindre a également des conséquences importantes en ce qui concerne la datation des derniers ancêtres communs que nous partageons avec le chimpanzé, le Bonobo et le Gorille. D’habitude on estime que l’ancêtre commun de l’Homme et du chimpanzé se situe aux alentours de 6 à 7 millions d’années, mais une récente étude prenant en compte un temps de génération révisé et un taux de mutation moindre, arrive à la conclusion le dernier ancêtre commun de l’homme et du chimpanzé se situerait dans une fourchette allant en de 8 à 13 millions d’années! [5]

Arbre phylogénétique des Hominidés actuels (Gorille, Chimpanzé. Bonobo et Homme). Avec les anciennetés maximales (bleu dense) et minimales (bleu clairsemé) estimées en prenant en compte un taux de mutation moindre que celui habituellement pris en compte. Nous nous apercevons que les dates les plus anciennes sont compatibles avec l’ancienneté du «proto-gorille» nommé. Chororapithecus abyssinicus. D’où l’idée que cette révision à la baisse du taux de mutation réconcilierait les données génétiques avec le registre fossile. Notons que, comme cela est précisé dans l’étude d’où est tiré le présent diagramme, le positionnement des crânes sur les embranchements des différentes lignées ne signifie pas ici qu’il s’agit à proprement parler des ancêtres des représentants actuels des lignées en question. Diagramme tiré de Kevin E. Langergraber et al (2012) [5]

Voilà de quoi réécrire les manuels de biologie! Et pourtant cette révision des dates de l’ancienneté de nos ancêtres communs pourrait là-aussi concorder davantage avec certaines données fossiles. Ainsi l’ancêtre commun de l’homme et du gorille se situerait dans une fourchette allant de 10.9 à 17.2 Millions d’années en comparaison des 7 à 12 millions d’années traditionnellement admis. Et cette révision à la hausse de l’ancienneté de notre ancêtre commun ne serait pas un mal, au contraire cela serait davantage compatible avec le fossile d’un «proto-gorille» nommé Chororapithecus abyssinicus et daté d’il y a environ 10 à 11 millions d’années. Car si les caractéristiques morphologiques propres aux gorilles existaient déjà il y a plus de 10 millions d’années, cela signifie toujours très probablement que la lignée du gorille était déjà bien différencié de la nôtre et que donc l’ancêtre commun de ces deux lignées est encore plus ancien!

Cependant ne nous emballons pas trop vite!

Oui il est nécessaire de préciser que ce moindre taux de mutations qui doit nous pousser, selon certains, à reconsidérer sérieusement certaines dates dans l’évolution de notre lignée, ne fait pas consensus tout du moins pas encore. Ainsi par exemple une récente étude elle aussi publiée dans la revue «Nature» arrive à la conclusion d’un taux de mutations passablement élevés, si élevé que notre ancêtre commun avec le chimpanzé se situerait entre 3.7 et 6.6 millions d’année! [12]

Et on le devine si cette étude est dans le vrai toutes les révisions concernant notre évolution récente pourraient donc être oubliée et nous en reviendrions à d’importantes expansions de l’homme moderne à partir de l'Afrique il y a largement moins de 100'000 ans! [11] Le tout se compliquant encore lorsque l’on pointe l’origine géographique et la datation incertaine de certains haplogroupes chromosome Y tels que l’haplogroupe CT, comme cela a été discuté plus haut ainsi que dans ce précédent message!

Alors qui a raison? Pour l’instant nous l’ignorons même si cette révision des dates en faveur de dates plus anciennes, à l’instar de Dienekes, me séduit au plus haut point même si certaines positions de Dienekes me semblent en revanche peu soutenues ou tout du moins très partiales! Mais donc l’avenir nous en dira probablement davantage, d’ici là restons prudent et évitons les conclusions hâtives, même si comme déjà dit dans le précédent billet il apparait aujourd’hui clairement que l’expansion hors d’Afrique de notre espèce a été bien plus complexe que l’idée que l’on s’en fait généralement!

Références:

[1] Jared C. Roach et al (2010), Analysis of Genetic Inheritance in a Family Quartet by Whole-Genome Sequencing, Science

[2] Augustine Kong et al (2012), Rate of de novo mutations and the importance of father’s age to disease risk, Nature

[3] Catarina D Campbell et al (2012), Estimating the human mutation rate using autozygosity in a founder population, Nature Genetics

[4] Aylwyn Scally and Richard Durbin (2012), Revising the human mutation rate: implications for understanding human evolution, Nature Genetics

[5] Kevin E. Langergraber et al (2012), Generation times in wild chimpanzees and gorillas suggest earlier divergence times in great ape and human evolution, Proceedings of the National Academy of Science

[6] John G. Fleaglea et al (2008), Paleoanthropology of the Kibish Formation, southern Ethiopia: Introduction, Journal of Human Evolution

[7] Fulvio Crucianiet al (2011), A Revised Root for the Human Y Chromosomal Phylogenetic Tree: The Origin of Patrilineal Diversity in Africa, American Journal of Human Genetics

[8] Jacques Chiaronia, Peter A. Underhillb and Luca L. Cavalli-Sforza (2009), Y chromosome diversity, human expansion, drift, and cultural evolution, Proceedings of the National Academy of Science

[9] Joseph Lachance et al (2012), Evolutionary History and Adaptation from High-Coverage Whole-Genome Sequences of Diverse African Hunter-Gatherers, Cell

[10] Katerina Harvati et al (2011), The Later Stone Age Calvaria from Iwo Eleru, Nigeria: Morphology and Chronology,

[11] Anders Eriksson et al (2012), Late Pleistocene climate change and the global expansion of anatomically modern humans, Proceedings of the National Academy of Science

[12] James X Sun et al (2010), A direct characterization of human mutation based on microsatellites, Nature Genetics