vendredi 16 janvier 2015

La sociobiologie racialiste ou l'art des spéculations ad hoc

«The arguments for inferiority drawn from the history of civilization are also weak. At the time when the early kingdom of Babylonia flourished the same disparaging remarks that are now made regarding the Negro might have been made regarding the ancestors of the ancient Romans. They were then a barbarous horde that had never made any contribution to the advance of that civilization that was confined to parts of Asia, and still they were destined to develop a culture which has become the foundation and an integral part of our own. Even later the barbarous hordes of northern Europe, who at the time of the ancient Romans were tribal groups without cultural achievements, have become the most advanced nations of our days.» Franz Boas [1]
Par ces présents propos l'anthropologue Franz Boas (connu pour ses prises de positions critiques à l'encontre le racisme « scientifique » de son époque) fournissait l'une des critiques les plus pertinentes au paradigme racialiste dominant de son époque. Bien évidemment les personnes avisées se montreront probablement critiques vis-à-vis des présents propos de Franz Boas, notamment en soulignant que les populations Nord-Européennes de l'Antiquité avaient également leur accomplissement culturels (notamment la métallurgie). Mais donc cela étaient également vrai pour les Noirs-Africains [2], Noirs-Africains qui justement étaient à l'époque considérés comme racialement inférieurs et sans aucun accomplissement culturel digne de ce nom. De plus malgré des inexactitudes évidentes, il faut comprendre ces propos de Franz Boas dans leur contexte. C'est-à-dire la mise en contraste de populations ayant atteints des niveaux d'avancements technologiques, et de complexité sociale surpassant de beaucoup, ceux de populations considérées comme arriérées, primitives et rustres par les premières.

Car ici Franz Boas répond notamment à l'idée, très en vogue à son époque, voulant que les Nord-Européens formeraient une race supérieure,. Supériorité raciale qui serait confirmée par la domination coloniale britannique à travers le monde ou encore par la puissance militaire et économique de l'Empire Allemand. Les présents propos de Franz Boas mettant à mal cette conception raciale du monde, en rappelant qu'il y moins de deux millénaires les barbares arriérés étaient ces mêmes Nord-Européens et les civilisés se situaient principalement autour de la Méditerranée et même avant cela au Moyen-Orient. Bien sûr les racialistes de l'époque avaient toute sorte d'explications ad hoc pour se défendre. Beaucoup affirmèrent que l'origine des Grecs, des Romains et parfois même des Égyptiens, se trouvaient au Nord de l'Europe, mobilisant par là toute sorte de spéculations autour d'un mythique Peuple Indo-européen, racialement civilisateur. Un mythe qui atteignit son apogée avec l'avènement de l'Allemagne nazie.

Si certains racialistes continuèrent à s'attacher à cette conception fallacieuse longtemps après la Seconde Guerre Mondiale, celle-ci tomba donc en désuétude y compris en raison des avancées en génétique. Cependant la pensée racialiste ne mourut pas pour autant, elle ne cessa de ressurgir périodiquement, notamment au travers de justificatifs scientifiquement spécieux tels que les tests de QI. Cependant il manquait au racialisme un moyen d'être cohérent au regard d'une histoire humaine ne collant pas avec ses narrations et ses classifications antérieures. Car l'objection de Franz Boas n'a depuis cessé d'être pertinente! Le racialisme devait donc trouvé de nouvelles explications ad hoc pour demeurer crédible et mieux encore pour s'affubler d'une réelle crédibilité scientifique. Sans surprise ce fut la sociobiologie qui devint le nouveau vecteur du racisme « scientifique ».

Ce qu'on appelle « sociobiologie » n'est pas en soi raciste et mieux encore elle comprend des théories ou approches tout ce qu'il y a de plus scientifiques à mettre en lien avec l'anthropologie en générale. Hélas la sociobiologie fut également victime des fameuses «just-so-stories» et autres raccourcis ultra-adaptationnistes ayant vite fait de la décrédibiliser. C'est d'ailleurs dans le cadre de cette dérive de la sociobiologie que s'inscrit le renouveau du racialisme contemporain. Et qui dit renouveau, dit changement de nom! Après s'être fait appelé un temps, « race realism », les tenant de la pensée raciale répondent aujourd'hui au doux nom de « HBD » acronyme de « Human Biological Diversity ».

Que stipule la sociobiologie HBDienne?

En 2014 cette sociobiologie HBDienne fut popularisée au travers d'un livre qui fit abondamment parler de lui à savoir « A Troublesome Inheritance: Genes, Race and Human History » du journaliste Nicholas Wade [3]. Ce dernier exprimait depuis longtemps déjà sa sympathie pour ces approches sociobiologistes et racialistes. Et si ce livre de Nicholas Wade a un intérêt, c'est bien de synthétiser à lui seul la pensée sociobiologiste et raciale du mouvement  «HBD» mentionné ici. Ainsi on apprend que cette sociobiologie racialiste reprend à son compte le concept de coévolution gène-culture concept qui avait même séduit l'anthropologue Claude Lévi-Strauss en 1971 déjà. [4] Et pour cause ce concept est des plus intéressants et est valide à bien des égards. Un des exemples les plus souvent cités, est la diffusion de mutations permettant la digestion du lactose à l'âge adulte qui aurait eu lieu suite à la généralisation de la consommation du lait des animaux d'élevage au sein de certaines populations humaines. Mais comme l'écrit ensuite Nicholas Wade, selon certains scientifiques le concept de coévolution gène-culture serait également à l'origine d'importantes différences cognitives entre les différentes populations humaines. Et pour ce faire Nicholas Wade se base sur les écrits d'un économiste...


Oui parce qu'un économiste comme soutient à une sociobiologie teintée de racialisme ça sent d'avance la connerie...

Cet économiste c'est Gregory Clark, ce dernier soutient grosso modo que d'une période partant aux alentour des années 1200 jusqu'au début de la révolution industrielle en 1800, la population anglaise aurait été soumise à une importante pression sélective sélectionnant les individus ayant la propension à être moins violent, la propension a davantage économiser et la propension à davantage travailler (Wade 2014, 155-156) [3] (Clark 2007) [5]. L'origine de cette sélection? Clark soutient grosso modo que durant la première partie de cette période, l'augmentation de la production agricole aurait abouti à une augmentation rapide de la population. Mais alors l'Angleterre serait entrer dans un « piège malthusien », c'est-à-dire que la production se serait mise à stagner tandis que la population continuait à augmenter. Conséquence le revenue moyen réel par habitant se serait effondrer, les plus aisés, qui pour le coup seraient également les plus travailleurs, économes, intelligents et donc riches, auraient mieux survécut durant cette période et donc auraient eu davantage d'enfants, d'où l'évolution vers une population génétiquement plus travailleuse, économes et patati et patata... Une jolie narration sociobiologiste qui fut pourtant sévèrement critiquée tant les fondements sur lesquelles elle repose sont bancals. [6] 

Je pense notamment à la référence de Clark aux études de Napoleon Chagnon sur les Yanomami, et sur laquelle Clark s'appuie pour justifier sa théorie sociobiologistes appliquée elle, aux Anglais. (Clark 2007,129-130) En effet Napoleon Chagnon soutenaient que les Yanomami ayant commis des actes de guerre entrainant la mort avaient davantage accès aux femmes donc davantage d'enfants. Certains sociobiologistes interprétant cette description de Chagnon comme un démonstration d'une sélection génétique en faveur des individus les plus violents (alors que Chagnon lui-même demeurait distant face à ces interprétations sociobiologiques). Gregory Clark adhére lui aussi à cette interprétation et met en contraste l'hypothèse sociobiologiste sur les Yanomami, avec l'évolution de la société anglaise des années 1200 à 1800. Société anglaise qui, à l'inverse de ce qui se passerait avec les Yanomami, aurait sélectionné les individus les moins violents.  Problème les interprétations sociobiologistes autour des propos de Chagnon ne tiennent pas au regard des observations mêmes de ce dernier. Car seuls les Yanomami ayant survécut aux actes de guerre peuvent avoir des enfants or beaucoup des Yanomami entrant dans ces conflits, meurent. Et si l'on prend en compte ceux qui sont morts on s'aperçoit que la propension à faire la guerre ne constitue plus l'avantage sélectif qu'il semblait être de prime abord. [7] Mais Clark survole cette nécessaire mise-au-point, en ne lui consacrant qu'une courte note de bas de page et sans même noter que cela rend sa référence à Napoléon Chagnon hors-de-propos comme défense de sa thèse sociobiologique. Par ailleurs la thèse de Clark (tout comme celle des interprétations sociobiologiques autour de Napoleon Chagnon) n'a à son actif aucune donnée génétique appuyant son interprétation sociobiologique! Mais qu'à ne cela tienne Wade prend partie pour cette interprétation sociobiologique et affirme même, sans aucune donnée solide à l'appuie que le processus décrit par Clark pour l'Angleterre aurait également eu lieu ailleurs en Europe ainsi qu'à l'Est de l'Asie.

Des Barbares à l'Occident moderne

Cette approche sociobiologique que synthétise Wade, répondrait ainsi à l'objection que Franz Boas formula il y a plus d'un siècle. En effet il y a 2000 ans les Nord-Européens auraient été de nature différente, c'est-à-dire génétiquement plus violent, moins économes, moins prévoyants, bref de véritables barbares. Puis grâce au processus sélectif décrit plus haut, ils seraient devenus les peuples civilisés et raffinés que nous connaissons aujourd'hui.

Des Barbares rustres et violents (à gauche) à l'Occidental moderne, civilisé, raffiné et intelligent (à droite). Arf!

Mais alors comment expliqué que les Grecs, Romains, et Égyptiens aient précédés les Nords-Européens? Peter Frost un anthropologue et HBDiste convaincu, soutien que les populations Méditerranéennes incorporées au sein de l'Empire Romain auraient été « génétiquement pacifiées » par la répression qu'auraient exercés l'Empire contre ses élément les plus dissidents et violents. Peter Frost poussant sa joyeuse spéculation plus loin encore en affirmant que les Romains auraient été tellement pacifiés qu'ils se seraient alors passivement laissés envahir par des populations non-pacifiées à savoir les fameux barbares Nord-Européens! [8] Et c'est sans surprise que Henry Harpending, autre partisan convaincu de la pensée HBD, s'adonne sur son blog à une comparaison de la narration de Frost sur les Romains, avec l'Occident moderne. Occident moderne qui serait lui aussi confronté à ses barbares non-pacifiés à savoir les immigrés en provenance des divers pays du Tiers-Monde. Bref une population occidentale génétiquement pacifiée face aux hordes de barbares génétiquement violents venu du Sud. Mais non le mouvement HBD n'est pas animé par des considérations politiques c'est une pure théorie scientifique puisqu'on vous le dit!

Mais donc que penser de cette sociobiologie HDBienne?

1. Réponse courte:


2: Réponse longue:

Bon ok on va quand même essayer de développer mais donc par où commencer? Car franchement il y a tellement de raccourcis fallacieux savamment mélangés à des considérations évolutives, ma foi tout à fait valides même si maniées n'importe comment, qu'il est difficile de savoir par où décortiquer cette sociobiologie HBDienne. La première chose à faire serait donc peut-être d'aller directement au fond du problème, à savoir souligner que cette sociobiologie repose sur une série d'explications ad hoc sans démonstration et preuve solide derrière ces dernières. Par exemple quelle preuves solides, c'est-à-dire génétiques, ont Clark, Harpending, Frost et compagnie pour soutenir que les Nord-Européens de l'Antiquité avaient génétiquement plus de propension à la violence que les Nord-Européens actuels? Réponse: Que dalle!

Et en réalité c'est même bien pire encore. Puisque cette sociobiologie se garde bien de distinguer un tant soit peu clairement ce qui serait du registre de l'évolution culturelle et sociale, de ce qui serait réellement du registre de la génétique, et pour cause elle ne le peut pas. Comme l'avait noté un dénommé Noah Smith au 19ème siècle les Irlandais étaient pauvres, les immigrants Irlandais aux États-Unis étaient souvent très mal vus, perçus non seulement comme pauvres, mais également comme violents et méprisables, etc... Et aujourd'hui ils ne sont plus considérés ainsi. Doit-on en déduire qu'en moins de 200 ans il y aurait eu un puissant processus sélectif ayant modifié la nature même des Irlandais, y compris celle de leurs descendants Outre-Atlantique?

Exemple de racisme « scientifique » du 19ème siècle avec des Irlandais représentés, à l'instar des Noirs, comme appartenant à une race humaine simienne, à l'inverse des «Anglo-Teutoniques» considérés comme étant racialement supérieurs.

Le biologiste H. Allen Orr souligne à ce titre l'absence totale de preuve solide dans la synthèse sociobiologiste que propose Nicholas Wade dans son livre. Souvent certains de ces sociobiologistes rétorquent que des preuves existent, notamment le fait que les immigrants Asiatiques se sont très bien intégrés en Amérique du Nord et même du Sud tandis que les Noirs demeurent socialement désavantagés. Mais c'est oublier les différences historiques et culturelles profondes entre ces populations qui ont d'ailleurs des histoires migratoires fort différentes. Il est par ailleurs amusant de constater que Nicholas Wade ne fait preuve d'aucune rigueur ne serait-ce qu'historique, faute d'en faire preuve en génétique. En effet Nicholas compare l'ascension économique post deuxième guerre mondiale, de pays asiatiques tels que la Corée du Sud, avec des pays africains tels que le Nigeria demeurant en comparaison, rongés par la corruption, la pauvreté et les guerres. Pour Nicholas Wade ces différentes évolutions seraient des preuves de différences génétiques en matière de comportement entre Est-Asiatiques et Noirs-Africains (Wade 2014, 173-185) [3]. Or je ne vois pas comment Nicholas Wade peut affirmer cela sans creuser, ne serait-ce qu'un peu, les multiples autres facteurs susceptibles d'expliquer ces différentes évolutions. Nous pourrions notamment mentionner les profondes et très nombreuses fractures ethniques au sein de nombreux pays africains, y compris le Nigéria, par-apport à la plus grande cohésion ethnique et sociale d'un pays comme la Corée. Mais Nicolas Wade n'en fait rien au mieux il survole rapidement ces questions! Idem pour l'économiste Gregory Clark qui affirme à demi-mot par exemple, que les populations Indiennes (ou tout du moins certaines d'entre-elles) ne disposeraient pas des prédispositions comportementales d'origine génétiques pour s'adapter à une société industrialisée (Clark 2007, 354-357) [5]. Mais cela sans parvenir à distinguer les facteurs culturels et sociaux des hypothétiques facteurs génétiques (Allen 2008, 968-969) [6]. Mais peu importe Clark comme Wade et comme les autres partisans du mouvement « HBD », minimisent ou au mieux survolent en vitesse ces objections, pour finalement reconnaitre qu'elles sont valides mais que leur théorie demeure malgré tout hypothétiquement possible...Bref ils n'amènent aucune démonstration solide et ne reconnaissent pas comme il se devrait les failles évidentes de leurs théories comprenant de nombreux faits qui s'opposent à ces dernières.

Conclusion:

La conclusion est simple, si l'on prend un minimum de recule on s'aperçoit que cette nouvelle évolution du racialisme est véritablement du foutage de gueule. Les approches sociobiologiques proposées consistent à faire coller des scénarios hypothétique ad hoc pour coller aux faits observés (différence de développement économiques et technologiques) pour ensuite affirmer que ces faits collent avec les scénarios hypothétiques précédemment proposée et confirment ainsi la théorie sociobiologiste de départ. Si ce n'est pas un raisonnement circulaire cela y ressemble beaucoup!

Certes les avocats de cette sociobiologie particulière couvrent leur arrières en reconnaissant par exemple que dans certains cas la culture et l'évolution sociale à elles seules peuvent suffire à expliquer des différences que leurs interprétations sociobiologistes expliqueraient dans d'autres cas. Mais alors comment distinguent-ils les hypothétiques facteurs génétiques qu'ils soutiennent, des facteurs purement culturels et sociaux, alors qu'ils n'ont aucune démonstration génétique solide à l'appui? Bref tout ça pour dire que si le livre de Nicholas Wade et les autres publications du mouvement
« HBD » connaissent tant de succès ou tout du moins font tant parler d'eux ce n'est certainement pas en raison de leur valeur scientifique mais bel et bien de leur portée idéologique et politique.

Références:

[1] BOAS, Franz (1974 [1906]), The Outlook for the American Negro, in A Franz Boas Reader, The Shaping of American Anthropology, 1883-1911, University of Chicago Press : Edited by George W. Stocking, Jr, 1982, Originally published 1974, Reprint 1989. 310-31

[2] HUYSECOM, Éric (2007), Un Néolithique ancien en Afrique de l'Ouest?, Pour la Science N°358

[3] WADE, Nicholas (2014), A Troublesome Inheritance: Genes, Race and Human History, The Penguin Press 2014

[4] LÉVI-STRAUSS, Claude (2001 [1971]), Race et Culture, in Race et Histoire Race et Culture, Albin Michel / Éditions UNESCO

[5] CLARK, Gregory (2007), A Farewell to Alms: A Brief Economic History of the WorldPrinceton University Press

[6] ALLEN Robert C. (2008), A Review of Gregory Clark’s A Farewell to Alms: A Brief Economic History of the World, Journal of Economic Literature 46:4, 946–973

[7] FERGUSON, R. Brian (2001), Materialist, cultural and biological theories on why Yanomami make war, Anthropological Theory, Volume 1(1) 99-116

[8] FROST, Peter (2010), The Roman State and Genetic Pacification, Evolutionary Psychology Volume 8(3)