jeudi 23 avril 2015

La consanguinité augmente-t-elle la fertilité?

Commençons par cette sympathique vidéo de l'excellente équipe de «Dirty Biology».



Dans cette vidéo Léo Grasset empale d'emblée un préjugé encore fortement ancré, à savoir celui voulant que la consanguinité serait forcément négative, ce qui n'est en effet de loin pas toujours le cas. Mieux comme l'avait rappelé le généticien André Langaney, la consanguinité peut même s'avérer bénéfique à partir du moment où la population consanguine a purgé les allèles délétères qui auraient été susceptibles de poser problème en cas d'homozygotie. La consanguinité n'est donc pas forcément négative. Et heureusement! Car comme le rappelle là encore André Langaney nos ancêtres ont dû sacrément cousiner et cela sur de nombreuses générations faute de mobilité et d'effectifs suffisants. Pour autant la consanguinité n'est pas sans risque. La mauvaise réputation de celle-ci a également des bases on ne peut pas plus substantielles. Car si des allèles délétères se baladent au sein d'une famille, ce qui est souvent le cas, alors gare à la consanguinité qui a tendance à favoriser l'homozygotie pour certains de ces allèles. Cependant cela n'est généralement vrai qu'en cas de forte consanguinité, si la diversité génétique au sein d'une population donnée est suffisamment importante, le cousinage au troisième et quatrième degré semble souvent pouvoir se faire sans que cela ne débouche sur des problèmes de santé. Mais cela la vidéo de «Dirty Biology» l'explique déjà très bien.

Cependant il y a un point majeur de la dite vidéo qui m'a laissé pour le moins circonspect. Il s'agit d'une étude publiée dans la revue «Science» soutenant une hypothèse voulant que la consanguinité favoriserait la fertilité. [1] L'étude en question porte sur des banques de données de diverses familles islandaises allant du début du 19ème siècle au milieu du 20ème siècle. L'analyse de ces données montre trois choses, (1) les unions entre cousins au premier degré débouche sur une fertilité moindre, probablement dû selon les auteurs à la dépression de consanguinité. (2) Les unions entre cousins du troisième et quatrième degré débouche en revanche sur la fertilité la plus élevée observée, avec non seulement davantage d'enfants mais également à terme de petits enfants. (3) Les unions entre parents plus éloignés que le troisième et quatrième degré, déboucherait en revanche de nouveau à une fertilité moindre, pire les unions de personnes généalogiquement éloignés déboucheraient même à un nombre de petits enfants inférieur à celui des unions entre cousins au premier degré.

Problème...

L'étude ne s'arrête pas aux constats mentionnés ci-dessus, elle spécule sur leurs causes. D'une part elle attribue à la moindre fertilité des cousinages au premier degré à la dépression endogamique. D'autre part elle attribue la moindre fertilité des unions les moins étroitement apparenté à ce que nous pourrions réellement appeler une dépression hybride! Ainsi les auteurs de cette publication affirment que les unions au troisième ou quatrième degré de cousinage seraient les plus optimales en terme de fertilité (et donc évolutivement parlant), dès que le cousinage est moindre une dépression hybride commencerait à affecter la fertilité des partenaire génétiquement plus distants l'un de l'autre, conclusion que reprend l'équipe de «Dirty Biology» dans sa vidéo.


Axe des abscisses pour les quatre graphes: degré de consanguinité. Axes ordonnées, pour le graphe A: Nombre d'enfants, pour le graphe B: Nombre d'enfants ses reproduisant, Pour le graphe C : Nombre de petits enfants Graphe C: Espérance de vie moyenne des petits enfants. Rappel il s'agit de données concernant la population islandaise de 1800 à 1965. [1]

Or cette conclusion pose problème pour deux raisons majeures. La première est bien évidemment l'absence de données biologiques concrètes attestant du phénomène de dépression hybrides pour les données analysés. Par exemple et de façon inverse, l'existence de dépression endogamique est appuyée par l'espérance de vie moindre des enfants issus de cousins au premier degré, il n'y a en revanche pas de variation significative de l'espérance de vie des enfants issus d'unions au degrés de cousinage plus éloignés. Certes on peut rétorquer qu'une dépression hybride peut affecter uniquement la fertilité des «hybrides» sans affecter la santé de ces derniers. Cependant cette hypothèse même si hypothétiquement possible, n'est donc ici appuyé par aucune donnée véritablement concluante.

La deuxième critique est l'absence de toute analyse socio-culturelle approfondie. Car après tout n'est-il pas possible que la plus grandes fertilité des unions consanguines s'expliquent par des facteurs purement socioculturels. En gros il s'agirait simplement du fait que les individus les plus religieux et conservateurs tendent à la fois à se marier davantage entre cousins et à avoir davantage d'enfants. À l'inverse les personnalités les plus individualistes tendent à se marier en dehors de leur communauté et à former des familles moins nombreuses. Conscients de cette possible objection les auteurs de cette étude affirment que la baisse constante et graduelle de la fertilité à partir du quatrième degré de cousinage jusqu'au septième, n'est pas entièrement compatible avec les possibles facteurs culturels susmentionnés. Car après tout, et comme le mentionnent les auteurs de l'étude, pourquoi une baisse sensible de fertilité du sixième au septième degré de cousinage? On a en effet du mal à croire que cette baisse puisse témoigner de différence culturelles notables entre les couples dont les partenaires sont cousins aux sixième degré par-apport aux couples dont les partenaires sont cousins au septième degré. Certes cette objection est valide et montre que l'hypothèse de facteurs culturels n'est pas avérée... Cependant elle n'est pas non-plus réfutée! Ni moins ni davantage que l'hypothèse biologique des auteurs de cette étude. Car sans analyse détaillés de variables culturelles, corrélées à la consanguinité, aux liens sociaux, etc, etc... au sein de la société islandaise durant cette tranche de son histoire, on ne peut pas exclure péremptoirement que cette baisse de fertilité, même celle allant du sixième au septième degré de cousinage, a des bases socioculturelles et non pas biologiques. Bien évidemment l'inverse est également vrai, on ne peut non plus pas exclure péremptoirement des facteurs biologiques à cette disparité. Dès lors même si l'échantillonnage de cette étude est vaste on ne peut guère affirmer avoir ici une démonstration concluante de l'apparition d'une dépression hybride au-delà du quatrième degré de cousinage.

Par ailleurs notons que le degré de cousinage ne suffit pas à déterminer la proximité génétique de deux individus. Ainsi une population demeurant réduite pendant de nombreuses générations, verra ses membres êtres très semblables génétiquement. Tellement semblables que deux cousins très éloignés de cette population pourraient s'avérer génétiquement bien plus semblables que le sont deux cousins au premier degré d'une populations se caractérisant par une plus grande diversité génétique. Or les populations plus diverses génétiquement sont-elles moins fertiles en raison de cette plus grande diversité? Je ne connais aucune étude à ce sujet, mais on devine en quoi cela peut compliquer le tableau entourant l'hypothèse faite par les auteurs de l'étude précédemment mentionnée.

Conclusion

La question du cousinage et de la consanguinité est plus complexe qu'elle n'y parait de prime abord. L'équipe de «Dirty Biology» souligne à juste titre le fait que la consanguinité est souvent injustement diabolisée alors qu'elle est plus commune qu'on le pense et pas forcément négative pour la santé. Cependant l'hypothèse tirée de l'étude de la revue «Science», hypothèse voulant qu'une dépression hybride pointerait le bout de son nez au delà du quatrième degré de cousinage, demeure très incertaine considérant l'absence de données véritablement concluante en sa faveur et l'absence d'analyse sociologique approfondie qui permettraient éventuellement de déterminer diverses variables confondantes derrière les chiffres analysés. En fait à ce stade cette hypothèse doit donc être prise avec la plus grande prudence. De toute manière qu'on se rassure ne pas se reproduire avec ses cousins n'empêche pas d'avoir une descendance nombreuse. Pensons à Gengis Khan ainsi qu'à ses frères et fils, ils n'ont pas qu'ensemencé de proches cousines à eux, bien au contraire! Et pourtant leur descendance est remarquablement nombreuse. Bon ok c'est aussi et surtout parce qu'ils ont ensemencé comme peu d'hommes ont eu l'occasion de le faire dans l'histoire. Oui avec l'exemple de Gengis Khan je triche un peu car cela me permet de partager cette autre et excellente vidéo  de «Dirty Biology», vidéo consacrée, entre autre, à la descendance de ce célèbre conquérant.

 

Référence:

[1] Agnar Helgason et al (2008), An Association Between the Kinship and Fertility of Human Couples, Science